Mémoire collective, avenir riverain

7 janvier 2025

Mémoire collective, avenir riverain

Requalification de sites urbains en zones inondables. Proposition étudiante pour un plan directeur des réseaux de parcs riverains de la rivière Sainte-Anne, Portneuf

Par Thomas Tremblay, candidat à la maîtrise en aménagement, option VTP et auxiliaire de recherche à la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal (CPEUM)

Contexte

Au printemps 2020, le gouvernement du Québec a déposé le Plan de protection du territoire face aux inondations : des solutions durables pour mieux protéger nos milieux de vie, en réaction aux importantes inondations ayant secoué la province en 2017 et 2019.

Depuis le 1er mars 2022, le régime transitoire de gestion des zones inondables, des rives et du littoral établit de nouvelles règles pour toute intervention en zones inondables.

Au printemps 2024, le gouvernement du Québec a annoncé le projet de modernisation du cadre réglementaire en milieux hydriques, ainsi qu’une nouvelle cartographie des zones inondables, pour laquelle une consultation publique a eu lieu en juin 2024.

Ces annonces du gouvernement ont été accompagnées de l’arrêt du financement hypothécaire pour les propriétés situées en zones inondables par certaines des plus grandes institutions financières de la province. Ces mesures posent un défi pour plusieurs localités québécoises, qui ont vu les rives de leurs cours d’eau s’urbaniser au fil des décennies.

C’est dans ce contexte que notre équipe a soumis sa candidature à l’Association des aménagistes régionaux du Québec (AARQ) avec le projet La rivière Sainte-Anne : mémoire collective, avenir riverain, pour lequel nous avons remporté le prix Relève en aménagement 2024. Réalisée dans le cadre du projet terminal au baccalauréat en urbanisme de l’Université de Montréal, nous proposons un plan directeur pour la création d’un réseau de parcs de la Sainte-Anne. La première phase de cette proposition s’applique au secteur de la ville de Saint-Raymond, dans la MRC de Portneuf. Son centre-ville, riverain à la Sainte-Anne, fait face à d’importants épisodes d’inondations par embâcles de glace, menaçant de faire disparaître à jamais le lien étroit qu’entretient le centre-ville et sa rivière.

La rivière Sainte-Anne joue un rôle essentiel dans le développement de la MRC de Portneuf, située dans la région de la Capitale-Nationale. Saint-Raymond, ville située au nord-est de la MRC, est reconnue pour ses activités de plein air grâce à des sites comme la ZEC Batiscan-Neilson et la coopérative de la Vallée Bras-du-Nord, qui font de cette région un haut lieu de villégiature et de récréotourisme. De plus, la Vélopiste Jacques-Cartier-Portneuf, aménagée sur une ancienne emprise ferroviaire, relie la ville de Rivière-à-Pierre, au nord, à la ville de Québec via la Route verte. Plus récemment, la Route bleue, un réseau de circuits pagayables à l’échelle du Québec, a ajouté trois nouveaux parcours sur la Sainte-Anne, à proximité du centre-ville de Saint-Raymond.

Malgré la convergence des circuits récréotouristiques à Saint-Raymond, le centre-ville peine à capter ces flux, qui pourraient dynamiser son économie. Ce centre-ville se distingue par une richesse architecturale marquée par des bâtiments patrimoniaux restaurés dans le style Boomtown des années 1920, grâce à une stratégie de revitalisation amorcée en 1999. Une des intentions du projet proposé est de miser sur la volonté de la ville d’attirer les touristes vers son centre-ville.

Également, la rivière Sainte-Anne a joué un rôle de premier plan dans le développement de la ville et des secteurs avoisinants, notamment dans l’industrie forestière, où elle servait au flottage du bois jusqu’au moulin Chute-Panet, situé en aval. Ainsi, la première forme de valeurs associées à la rivière Sainte-Anne fut purement fonctionnelle et productive, expliquant une certaine latence dans le développement de valorisation plus récréative de la rivière, comme on a pu le voir ailleurs au Québec. Cependant, la création du parc riverain de la Sainte-Anne, ainsi que l’aménagement d’une promenade au centre-ville de Saint-Raymond, illustrent la volonté des riverains et des instances municipales de se réapproprier la rivière.

Cependant, cette relation avec la rivière est régulièrement mise à mal par des épisodes récurrents d’inondations causées par des embâcles de glace, comme l’inondation majeure de 2014, qui a entraîné l’inondation d’une grande partie du centre-ville. À cela s’ajoutent les récentes annonces retrait des institutions bancaires et les projets de modernisation de la réglementation en zones inondables, qui menacent de rompre le lien physique entre le centre-ville de Saint-Raymond et la rivière.

Toutefois, l’augmentation du nombre d’espaces riverains en friche offre une opportunité de requalification pouvant insuffler un renouveau dans les regards portés par les résidents sur la rivière. En s’appuyant sur les deux espaces publics déjà présents en bordure de la Sainte-Anne, ainsi que sur les différents réseaux touristiques qui traversent le territoire de Saint-Raymond, il est proposé de requalifier trois ensembles de sites distincts afin d’en faire un réseau cohérent :

  • Le centre-ville
  • Le parc riverain de la Sainte-Anne
  • Le site Chute-Panet

Vision du projet :

Le réseau de parc et d’espaces publics de la Sainte-Anne est un arrêt incontournable de la MRC de Portneuf.

Du fait de sa connectivité aux réseaux récréotouristiques existants et aux charmantes collectivités qui borde cette rivière emblématique, il est désormais possible pour la population de se réapproprier la rivière Sainte-Anne. Elle accueille sur ses rives une mosaïque d’espaces naturels, culturels, récréatifs, sportifs et de détente, formant un tout cohérent qui assure une valorisation positive de la rivière dans la conscience collective, maintenant l’objet d’identification territoriale.

La proposition de réseau de parcs de la Sainte-Anne repose sur trois principes directeurs :

  • Revalorisation positive de la rivière dans la mémoire collective
  • Gestion intégrée de la rivière et des milieux naturels
  • Intercation dynamique avec les infrastructures et milieux existants

 

Propositions d’aménagement

Le site du centre-ville se divise en trois sections : la promenade riveraine, le parc Alexandre Paquet et l’ancien terrain de soccer.

 

Prolongement de la promenade riveraine : Le projet prévoit la poursuite de la promenade en bordure de la rivière jusqu’à l’avenue Homer Milot. Il inclut des points d’accès aux rues Jacques Labranche et Homer Milot, ainsi que des sites de mise à l’eau, permettant le prolongement du circuit nautique au-delà du barrage-estacade.

Parc Alexandre Paquet : Le déménagement du terrain de baseball et de la patinoire offre une opportunité pour aménager un espace public multifonctionnel, en lien avec la rivière. Ce site, entouré d’une école et d’une résidence pour aînés, au cœur même du centre-ville, devient un lieu d’échange intergénérationnel. L’amphithéâtre naturel sur le terrain de baseball offre des vues vers la rivière et permet la tenue d’événements culturels. Un bassin de rétention des eaux est ajouté pour gérer les eaux de pluie. La patinoire, déplacée, laisse place à un espace de jeux pour enfants, avec des modules en bois inspirés de la forêt et de la drave, évoquant l’industrie du bois régionale.

Parc Labranche-Milot : Situé entre les rues Jacques Labranche et Homer Milot, espace anciennement utilisé comme terrain de soccer, ce parc voit un réaménagement de la bande riveraine visant à adoucir son dénivelé, offrant plus d’espace de liberté pour la rivière en cas de crue. Une plantation d’espèces végétales indigènes issus des trois strates (herbacée, arbustive et arborée) permet de renaturaliser les rives de la Sainte-Anne.

Parc riverain de la Sainte-Anne

Le deuxième site correspond au parc riverain de la Sainte-Anne, créé par l’OBV CAPSA en partenariat avec la ville de Saint-Raymond. Ce parc constitue un point d’ancrage essentiel dans le réseau projeté. Les terrains en milieux humides situés sur la rive nord sont préservés pour assurer leur pérennité écologique, tandis que les sentiers existants sont réaménagés avec une signalétique améliorée, notamment afin de capter les flux saisonniers issus de la Vélopiste, qui traverse le parc. Cette proposition d’aménagement vise ainsi à établir un dialogue harmonieux entre les milieux naturels et récréatifs, tout en proposant une meilleure gestion des installations actuelles.

Site Chute-Panet

Ce site emblématique, anciennement occupé par la Saint-Raymond Paper Co., est un lieu stratégique pour la création d’un parc.

Situé de part et d’autre de la rivière Sainte-Anne, à cheval entre les municipalités de Saint-Raymond, au sud, et de Saint-Léonard, au nord, le site constitue un terrain fertile quant à la mise à exécution d’une part importante des orientations et objectifs du présent plan directeur. Prenant également en compte le rachat d’une partie du terrain par la ville de Saint-Raymond afin de remettre à niveau l’ancien barrage et ainsi tenter de diminuer les risques d’inondation de son centre-ville, il apparaît que la conjoncture actuelle est des plus opportunes pour la création d’un parc sur ce site emblématique, actuellement peu mis en valeur.

 

La portion nord, à Saint-Léonard, contient les vestiges de l’ancienne papetière. Il est proposé de réinvestir ces vestiges par le biais d’une armature rappelant le volume originel du bâtiment, à l’intérieur duquel une exposition sur l’histoire du site prendra place. Au nord des vestiges, un vaste espace public est aménagé, en misant sur la renaturalisation de ce site contaminé. Des référents à l’exploitation forestière, tels que les charbonnières, sont intégrés en tant que point focal, empreint des composantes culturelles et identitaires du secteur. La portion ouest du site est quant à elle préservée dans un état naturel. Outre des exercices de revégétalisation et de décontamination ponctuelle du sol, ce milieu naturel vise à offrir une continuité écologique avec la tourbière située juste au nord du site.

Au sud, à Saint-Raymond, un sentier pédestre est aménagé en forêt. Une nouvelle passerelle piétonne, érigée sur les fondations de l’ancien pont routier, permet de relier les deux municipalités et les différentes sections du parc.

Pour connecter les sites, il est proposé de réutiliser l’emprise ferroviaire au nord-est de Chute-Panet pour créer un lien cyclable avec la Vélopiste. Un chemin de portage au nord du site contourne les chutes et prolonge la route bleue. De même, la promenade riveraine au centre-ville, prolongée, permet de créer un chemin de portage pour contourner le barrage-estacade. Ces connexions font de ces trois sites un réseau de parcs, lié au réseau routier et récréotouristique.

Une signalétique claire, incluant des panneaux d’accueil, d’information et de direction, facilitera l’orientation des visiteurs et renforcera l’interaction entre le réseau de parcs et le centre-ville, profitant aux commerces locaux.

Conclusion

Pour conclure, ce plan directeur est conçu comme un modèle reproductible à l’échelle de la MRC de Portneuf. Il vise à revitaliser les espaces riverains, restaurer la biodiversité et créer des synergies entre les communautés et leur environnement naturel à l’échelle de la MRC de Portneuf.

  • Réduction des risques d’inondation : Réaménager les zones inondables et réintégrer les milieux naturels pour diminuer l’impact des inondations et améliorer la résilience face au changement climatique.
  • Renaturalisation et biodiversité : Restaurer les berges et renforcer les habitats naturels avec des plantes indigènes pour favoriser la biodiversité et offrir des espaces de nature accessibles.
  • Réappropriation du patrimoine naturel : Créer un réseau de parcs connectés pour valoriser le patrimoine naturel de la Sainte-Anne et sensibiliser la population à son importance dans les aménagements futurs.
  • Mise en valeur des composantes culturelles : Lier des composantes culturels et sociales de la région en lien avec la rivière Sainte-Anne, de manière à inciter une revalorisation positive de celle-ci, allant au-delà de la mémoire liée aux inondations.
  • Renforcement du lien social et économique : Requalifier les sites pour offrir de nouveaux lieux de rassemblement, dynamiser le centre-ville et attirer touristes et citoyens.

Ainsi, en changeant la perception de la rivière, ce réseau de parcs la positionne désormais comme un atout territorial majeur, source de bien-être, de loisirs et de développement économique durable pour la région.

Remerciements 

L’expérience vécue lors de la réalisation de cette proposition d’aménagement et de sa présentation au colloque régional en Estrie de l’AARQ a été enrichissante et marquante pour notre parcours au baccalauréat en urbanisme. Bien que nous n’étions pas familiers avec l’échelle de la planification régionale et les projets en contexte non métropolitain, cette expérience nous a permis d’aborder des aspects de l’aménagement du territoire souvent négligés dans nos cursus universitaires. Les défis liés à la distance avec le terrain et la disponibilité limitée de ressources documentaires nous ont poussés à nous adapter, renforçant notre fierté face au résultat final.

Être lauréats du prix Relève en aménagement régional est une reconnaissance précieuse, nous offrant confiance et soutien de la part de l’AARQ. Ainsi, nous souhaitons remercier chaleureusement l’Association des aménagistes régionaux du Québec pour son soutien

Nous souhaitons également remercier les intervenants rencontrés à la Ville de Saint-Raymond, ainsi qu’à l’OBV CAPSA.

Enfin, nous souhaitons exprimer notre profonde gratitude à notre directrice de projet, notre très chère Maude-Mailhot Léonard, avec qui nous avons eu la chance de collaborer pendant deux ateliers et un projet terminal.

Équipe Néo_rur(eau) :
Thomas Tremblay, In
Guillaume Lavoie-Lalande, In
Louis-Félix Grothé, In

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