7 janvier 2025
La mise en œuvre des PRMHH, qu’en pensent les aménagistes régionaux ?
Auteurs :
Denis Blouin, urbaniste, PhD., chercheur postdoctoral, Arielle Navette, étudiante à la maîtrise en philosophie politique, Jérôme Gosselin-Tapp, professeur adjoint en philosophie politique, Université Laval
Cet article fait suite à notre participation au colloque régional 2024 de l’Association des aménagistes régionaux du Québec. Lors de cet événement, qui s’est tenu en Estrie, nous avons pu interroger les aménagistes régionaux présents au sujet de la mise en œuvre des PRMHH dans leur MRC. L’objectif de notre questionnaire était de prendre le pouls de ces professionnels au cœur de l’opérationnalisation de la politique de conservation des milieux humides et hydriques (MHH) du Québec. C’est près de 70 personnes (aménagistes) qui ont répondu à nos questions.
Les informations recueillies sont utiles à nos travaux de recherche liés à l’axe « société » du projet RARE (Recherche et applications pour une restauration éclairée des milieux humides). Dans cet axe de recherche, nous étudions les éléments liés à la gouvernance et à l’aménagement du territoire modelant l’application sur le terrain de la nouvelle législation en matière de conservation des milieux humides et hydriques au Québec.
Pour obtenir les réponses de l’auditoire à notre questionnaire, nous avons utilisé l’application Wooclap. La moitié des questions étaient à choix de réponses et l’autre moitié des questions à court développement. Il est à noter qu’il s’agit d’une approche qualitative. À cet effet, nos résultats ne peuvent être interprétés en termes statistiques. Notre méthode permet de dégager les éléments d’intérêt et les tendances se retrouvant dans les propos et les réponses des participantes et participants.
Une réforme et ses effets
En 2017, le gouvernement du Québec adoptait la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH). Par ce geste, il réformait le cadre juridique applicable à la conservation des milieux humides et hydriques. Ce nouveau cadre met de l’avant l’objectif de zéro perte nette de milieux humides. L’atteinte de cet objectif repose sur l’application de la séquence d’évitement, de réduction et de compensation des effets négatifs sur les milieux humides pour maintenir leur intégrité. Cette séquence consiste à : 1) éviter les sites sensibles, en l’occurrence les milieux humides et hydriques, lors de la réalisation de projets ; 2) lorsque ce n’est pas possible de les éviter, de réduire au maximum les impacts sur les MHH ; et 3) en parallèle, de compenser les effets résiduels par la restauration ou la création de milieux humides comparables.
Les plans régionaux des milieux humides et hydriques des MRC constituent la clé de voûte de cette nouvelle approche à l’échelle régionale. Entre autres, le PRMHH documente le contexte biophysique, identifie les milieux d’intérêt, établit les orientations à suivre et les cibles de conservation à atteindre. De même, il énonce les actions et les mesures qui seront mises en œuvre pour atteindre ces mêmes cibles.
Les PRMHH, grâce à leur diagnostic territorial et à la conciliation des enjeux d’aménagement du territoire avec les objectifs de conservation des MHH, doivent mener à une meilleure prévisibilité dans la planification de l’aménagement du territoire, en plus de viser une durabilité accrue des usages. Cette approche intégrée de conservation des milieux humides et hydriques s’appuie sur les instances municipales régionales (MRC et agglomération), compte tenu de leur rôle et leur expertise en coordination intermunicipale, en planification territoriale, ainsi qu’en gestion environnementale.
Dans cet ordre d’idées, les outils d’urbanisme et d’aménagement du territoire sont appelés à être révisés afin d’augmenter leur efficacité en ce qui concerne l’encadrement des usages et la protection des milieux humides et hydriques. Un tel encadrement est nécessaire de manière à prévenir les pertes et les effets négatifs sur les MHH causés par le développement urbain, les travaux de construction et autres usages du territoire. Toutefois, ces changements dans la pratique de l’aménagement exigent un certain remodelage de la configuration des pratiques d’aménagement locales et régionales. En parallèle, la mise à jour des orientations gouvernementales en aménagement du territoire (OGAT) élargit le champ des ajustements à opérer entre les différents acteurs du territoire et de sa gouvernance.
C’est cette conjoncture unique qui inspire notre projet de recherche sur l’opérationnalisation de la nouvelle politique de conservation des milieux humides et hydriques par l’entremise des PRMHH. Les informations recueillies lors de la séance d’échanges sont d’une grande richesse pour notre recherche.
Faits saillants et résultats du sondage
Nous vous présentons dans les paragraphes suivants un bref aperçu des faits saillants et des résultats du sondage concernant la mise en œuvre des PRMHH.
Déroulement de la mise en œuvre et réactions du milieu
De manière générale, la mise en œuvre des PRMHH se déroule plutôt bien pour la majorité des aménagistes interrogés (figure A). Au niveau des réactions des citoyens des territoires des MRC, c’est un outil d’aménagement dont la mise en œuvre est dans l’ensemble bien acceptée et ayant une pertinence reconnue selon les aménagistes participants.
Toutefois, les informations recueillies suggèrent que certains groupes d’acteurs voient le PRMHH sous un angle assez peu positif (voir la figure B). Il pourrait donc y avoir des désaccords entre les groupes d’acteurs et les organisations réticents face au PRMHH et ceux qui reconnaissent d’emblée la pertinence de ce cadre stratégique de planification environnementale.
Figure A : Comment se déroule la mise en œuvre de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydrique (LCMHH) dans votre région ?
Figure B : Quelles sont les réactions associées à la mise en œuvre du PRMHH et à l’atteinte du zéro perte nette dans votre région ?
Le PRMHH, un document informatif ou un outil d’action ?
La compréhension et la perception du but des PRMHH semblent varier significativement parmi les aménagistes.
Pour les uns, il s’agit principalement d’un outil de sensibilisation environnemental, ainsi qu’une source d’informations sur les milieux humides et hydriques appuyant la prise de décision dans les MRC. Prolongeant cette logique, le PRMHH est parfois perçu comme une planification supplémentaire qui générera peu d’effets à long terme sur le terrain.
Pour les autres, c’est davantage un cadre stratégique et administratif menant à une approche de transformation des pratiques. Dans cette optique, le PRMHH et son plan d’action constituent un levier pour améliorer les façons de faire de l’aménagement du territoire en y renforçant le volet environnemental.
Les effets déjà visibles des PRMHH
Au niveau des retombées des PRMHH, il se dégage, dans l’ensemble, des perceptions positives en matière de sensibilisations, de concertation et d’acquisitions de connaissances en lien avec les milieux humides et hydriques. Malgré des imprécisions dans la cartographie actuelle des milieux humides qui ont été mentionnées par les répondants, le PRMHH constitue un outil qui permet de faire connaître les milieux humides auprès des propriétaires, des élus et des citoyens, en plus de leur attribuer un statut reconnaissant leur valeur écologique. Toutefois, selon les commentaires reçus, l’octroi d’un statut de protection pour les milieux humides par les MRC ne serait pas encore respecté lors de l’émission des autorisations environnementales par le MELCCFP.
L’enjeu de la formalisation règlementaire
L’intégration d’un règlement de contrôle intérimaire (RCI) pour compléter la démarche entamée dans le PRMHH est une dimension qui semble encore mal comprise par les aménagistes. S’agit-il d’un mécanisme règlementaire dont la mise en place est optionnelle ou obligatoire ?
Si l’on se fie au résultat du sondage (figure C), la compréhension dominante est qu’il n’y a pas d’obligation pour les MRC d’adopter un RCI pour donner suite à l’entrée en vigueur d’un PRMHH. En effet, plusieurs aménagistes ont mentionné que les autorités gouvernementales ont fait une analogie avec les plans de développement de la zone agricole (PDZA), un document ne créant pas d’obligations légales pour les MRC, afin d’expliquer les engagements découlant des PRMHH pour les MRC.
Selon les propos recueillis, il en découle une certaine surprise face à la prise de conscience des attentes gouvernementales réelles qui poussent vers la formalisation du PRMHH dans la planification et la règlementation municipale. Les nouvelles OGAT du gouvernement du Québec, qui opèrent en dialogue avec les PRMHH, illustrent cette tendance perçue vers la formalisation légale des pratiques concernant la protection des milieux humides et hydriques. Nonobstant ce constat, les aménagistes consultés semblent majoritairement d’avis que les OGAT favoriseront l’opérationnalisation des PRMHH (figure D).
Figure C : Où en êtes-vous concernant l’adoption de votre RCI associé à la mise en œuvre de votre PRMHH ?
Figure D : À votre avis, quel sera l’effet de l’entrée en vigueur des nouvelles OGAT sur la mise en œuvre du PRMHH dans votre région ?
Participation et collaboration du public et des groupes d’acteurs
Compte tenu des avancées limitées de l’intégration des PRMHH à la règlementation en général et des limites de l’approche règlementaire, la démarche repose en bonne partie sur l’implication de la population, des groupes d’acteurs concernés et des organismes partenaires. Dans la pratique, selon les aménagistes, cette collaboration des acteurs n’est pas une chose acquise (figure E). En ce sens, des enjeux de cohérence entre les objectifs des organismes, des ministères et certains paliers de gouvernements sont soulevés. Un exemple mentionné est la prédominance marquée accordée à l’agriculture dans la zone agricole décrétée face aux autres usages du territoire qui peut créer des incohérences dans l’aménagement du territoire.
Figure E : Comment les acteurs concernés par la mise en œuvre du PRMHH de votre région sont-ils motivés à participer à l’atteinte des objectifs de zéro perte nette et à la réalisation des actions associées ?
La difficulté de l’harmonisation des usages
Plusieurs des commentaires des aménagistes liés à l’élaboration des PRMHH et à leur opérationnalisation portent sur la difficulté pour les MRC d’harmoniser les intérêts de nombreux groupes d’acteurs (agriculteurs, propriétaires forestiers, développeurs, municipalités) et des citoyens avec les objectifs de la politique de protection des milieux humides et hydriques. Malgré des convergences vers des objectifs communs de protection des milieux humides et hydriques, des différences de valeurs face à l’utilisation du territoire et des blocages structurels (par exemple : des lois aux objectifs contradictoires et le fonctionnement en silo des organisations gouvernementales) demeurent. En ce sens, la détermination des usages prioritaires du territoire et la clarification de la notion d’utilisation durable seront vraisemblablement au cœur des échanges et des débats pour atteindre l’objectif de zéro perte nette.
En conclusion
Les retombées des PRMHH mentionnées par les aménagistes sont plutôt positives. Ainsi, ce nouvel outil d’aménagement permet d’acquérir et de diffuser de nouvelles connaissances environnementales dans les MRC. De même, les PRMHH sensibilisent et mobilisent la population, le milieu municipal et les acteurs du territoire autour de l’enjeu de la protection des milieux humides et hydriques, voire des milieux naturels. En raison du caractère nouveau de cet outil d’aménagement, il est un peu hâtif de tirer des conclusions plus avancées à son sujet.
Toutefois, il est à noter qu’il semble rester encore, aux yeux des aménagistes, des zones d’ombres eu égard aux intentions gouvernementales face à la protection des milieux humides et hydriques. C’est à tout le moins ce que suggère la variabilité des interprétations concernant les résultats visés par la mise en place des PRMHH. À moyen terme, l’entrée en vigueur des nouvelles OGAT devrait favoriser la formalisation règlementaire des objectifs et des actions des PRMHH dans les outils d’urbanisme.
C’est un grand défi pour une société de définir et mettre en place une politique publique, particulièrement lorsqu’il est question de systèmes complexes comme c’est le cas en environnement et en aménagement du territoire. Les recherches de l’équipe du projet RARE se poursuivront dans les prochaines années pour tenter d’améliorer la compréhension de l’opérationnalisation d’une politique gouvernementale de protection des milieux humides et hydriques.
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