7 janvier 2025
Les freins et les pistes de solution à la création de logements abordables
Le cas de la MRC de Brome-Missisquoi
- Par JFLV urbanisme et environnement
- Photo : MRC de Brome-Missisquoi
Un contexte difficile pour l’abordabilité
Comme ailleurs en Amérique du Nord et au Québec, la MRC de Brome-Missisquoi traverse actuellement une crise du logement sans précédent. Taux d’inoccupation sous le seuil de 3%, coûts de construction et de la main-d’œuvre croissants, vieillissement des infrastructures municipales, outils de planification et règlements d’urbanisme élaborés dans une période où l’abordabilité n’était pas un enjeu… Bref, une multitude de facteurs internes et externes aux municipalités contribuant à créer un contexte difficile pour l’abordabilité en habitation.
Par ailleurs, comme d’autres régions au Québec, la MRC de Brome-Missisquoi est composée de municipalités dont le contexte local et les prix pour se loger diffèrent largement. Ayant déjà assumé un leadership en matière d’habitation, entre autres grâce à sa Boîte à outils sur l’habitation publiée en 2019, Brome-Missisquoi a décidé de réaliser en 2024 une étude sur les freins et les pistes de solution à la création de logements abordables.
Méthodologie et objectif du mandat
Les objectifs du mandat visaient l’identification des freins municipaux à la création de logements abordables et l’élaboration de pistes de solutions innovantes et réalistes pour les municipalités locales et pour la MRC.
Pour y arriver, la méthodologie suivante a été utilisée :
- Revue de la littérature (articles scientifiques, études et rapports sur le logement et l’habitation, documents de planification de municipalités locales et régionales, articles d’actualité, exemples de cas concrets, etc.)
- Entrevues avec les acteurs privés et communautaires en habitation dans Brome-Missisquoi afin d’écouter leurs expériences vécues avec leurs projets dans la région (enjeux, défis et solutions possibles)
- Atelier en habitation avec des municipalités de la MRC dans le but de les informer sur les freins vécus par les acteurs et les solutions envisagées, tout en écoutant leur réalité du terrain
- Proposition de solutions réalistes et innovantes pour les municipalités locales et pour la MRC de Brome-Missisquoi
Les freins et les solutions
L’étude a permis d’identifier quatre grandes catégories de freins municipaux à la création de logements abordables. Pour chacune de ces catégories, les freins sont présentés et des solutions sont proposées.
Le premier frein soulevé est lié à la vision municipale. En effet, les documents de planification des municipalités expriment souvent une vision floue et contradictoire en ce qui a trait à la notion d’ « abordabilité ». Par exemple, certaines municipalités souhaitent développer du logement abordable sur leur territoire, mais le projet ne doit pas être trop dense ni trop haut, il doit répondre à des critères architecturaux, avoir suffisamment de stationnements tout en étant carboneutre… plusieurs éléments contradictoires où l’abordabilité occupe un souvent un second rang dans les priorités municipales.
Aussi, plusieurs municipalités n’ont aucune stratégie foncière, créant un déficit de terrains municipaux disponibles au développement. Ceci limite les opportunités pour des appels de projets ou pour des ententes avec des organismes à but non lucratif.
Voici des freins et leurs pistes de solution proposées :
1er – Une vision floue et souvent contradictoire
- Adopter une stratégie ou un plan d’action en habitation abordable
- Intégrer au plan d’urbanisme les besoins projetés en matière d’habitation et les mesures en vue d’y répondre
2e – L’absence d’une stratégie foncière
- Adopter une stratégie ou un plan d’action en habitation abordable
- Utiliser le droit de préemption à l’échelle locale et prévoir des réserves budgétaires annuellement
- Se doter d’un programme d’acquisition d’immeubles via les plans particuliers d’urbanisme (PPU) sur les terrains stratégiques pour l’abordabilité
Le second frein touche les processus municipaux. Premièrement, les règlements discrétionnaires et les comités consultatifs d’urbanisme (CCU) ne priorisent souvent pas l’abordabilité lors de l’évaluation des projets. En effet, selon certains acteurs, les CCU priorisent généralement les caractéristiques architecturales des projets et non le coût des unités. Deuxièmement, pour les acteurs en habitation, les risques financiers associés aux processus sont élevés. La possibilité de la tenue de référendums qui bloquent des projets d’intérêt collectif contribue à augmenter les risques. Finalement, les municipalités ont souvent une compréhension incomplète de leurs infrastructures municipales, prolongeant les délais d’approbation des projets. Pour certains, les délais associés aux validations techniques sont maintenant plus longs que les processus de permis.
Voici des freins et leurs pistes de solution proposées :
1er – Les règlements discrétionnaires et les comités consultatifs d’urbanisme qui ne priorisent pas l’abordabilité
- Clarifier les paramètres et objectifs des règlements discrétionnaires
- Prévoir des critères plus souples pour les projets qui font de l’abordabilité pérenne
- Sensibiliser les élus, l’administration et le CCU aux enjeux et aux processus qui affectent l’abordabilité
2e – Les risques financiers associés aux processus, incluant les référendums, qui bloquent des projets d’intérêt collectif
- Mettre en place des mécanismes transparents d’accord de principe pour les projets abordables qui nécessitent un changement de zonage ou un prolongement des infrastructures
- Évaluer la possibilité d’utiliser les nouveaux « super-pouvoirs » pour les projets de logements sociaux, abordables ou étudiants
- Évaluer la possibilité d’utiliser les nouveaux « super-pouvoirs » pour tous les autres projets d’habitation (villes de 10 000+ habitants)
3e – Une compréhension incomplète des infrastructures municipales qui prolongent les délais
- Identifier et diffuser les zones avec une capacité suffisante pour accueillir les projets de densification
Le troisième frein est celui le plus souvent critiqué, soit les normes d’urbanisme. La plupart des municipalités n’autorisent que la maison unifamiliale isolée sur la majorité de leur territoire et excluent les autres usages résidentiels plus denses et favorables à l’abordabilité. Selon divers acteurs, le logement abordable passe par certains paramètres, dont la densité. Or, le rêve de la maison unifamiliale isolée est encore bien ancré dans l’imaginaire collectif et il y a des enjeux persistants en matière d’acceptabilité de la densification.
En parallèle, des normes d’implantation prévues au zonage restreignent la densité et favorisent la maison unifamiliale isolée (marges, hauteurs, emprise au sol, etc.). Bien que cela puisse paraître anodin, même si une municipalité autorise des usages résidentiels plus denses sur son territoire, les normes d’implantation doivent elles aussi être modifiées pour accommoder ces usages, sans quoi peu de projets de logements denses et abordables verront le jour.
Finalement, de nombreuses municipalités ont des exigences réglementaires supérieures aux besoins réels des ménages, par exemple en imposant des normes minimales de stationnement élevées ou encore des superficies de lot prohibant la capacité d’offrir de l’abordabilité.
Voici des freins et leurs pistes de solution proposées :
1er – L’exclusion de tous les usages résidentiels, sauf la maison unifamiliale détachée dans plusieurs zones
- Diversifier les types d’habitation autorisés dans les zones desservies en évitant la résidence unifamiliale isolée
- Mettre en place un règlement de zonage incitatif afin d’intégrer des unités de logement abordable, social ou familial dans les projets de plus haute densité
- Définir le cadre normatif des unités d’habitation accessoires (UHA)
2e – L’établissement de normes d’implantation qui restreignent la densité
Ajuster les normes d’implantation dans les secteurs visés pour la densification
3e – Les exigences règlementaires supérieures aux besoins réels
- Pour les secteurs qui ne sont pas visés par la densification, étudier au cas par cas les demandes visant des variations des normes qui n’excèdent pas le tiers de la valeur d’origine (ceci n’est pas assujetti au référendum)
- Éviter d’associer la superficie minimale d’un lot au nombre d’unités de logement dans un bâtiment
- Adopter une politique des espaces de stationnement et réviser à la baisse les normes minimales
Le dernier frein touche la question des charges et du financement. Il y a de manière générale une méconnaissance des opportunités de développement de la part des municipalités, renforcée par un manque de dialogue entre les acteurs du logement. Les municipalités nous ont fait part qu’elles ne sont pas outillées en termes de contacts et de relations concrètes avec les acteurs du logement social et communautaire.
Aussi, les programmes et incitatifs financiers sont insuffisants pour stimuler la création de logements abordables. En effet, peu d’incitatifs existent présentement et selon certains acteurs, les changements des programmes de financement en cours de réalisation de projet ont entraîné beaucoup de problèmes pour la création de logements abordables.
Finalement, certaines municipalités imposent des frais et charges de développement qui pénalisent la densité et l’abordabilité. Du côté des municipalités, certaines nous ont plutôt mentionné que les coûts liés aux frais de permis et aux processus sont marginaux en région et qu’ils ne représentent pas un enjeu en tant que tel.
Voici des freins et leurs pistes de solution proposées :
1er – Une méconnaissance des opportunités de développement de la part des municipalités et le manque de dialogue entre les acteurs du logement
- Impliquer les divers acteurs de l’habitation dans les projets résidentiels lors des démarrages de projets
- Créer en amont des séances d’échanges avec les citoyens sur les projets résidentiels afin de démontrer les efforts des promoteurs pour l’abordabilité
2e – Les programmes et incitatifs financiers insuffisants
- Mettre en place une aide financière (crédit de taxe ou programme d’aide) adaptée à la réalité de la municipalité pour favoriser les projets de construction et d’entretien des logements abordables
- Développer un programme de financement complémentaire à Climat-Sol pour la décontamination des terrains visés pour des projets abordables
3e – Les frais et les charges municipales qui pénalisent la densité
- Contribuer au financement des infrastructures municipales pour les projets de logements abordables
- Éviter les charges de développement pour les projets abordables
- Évaluer la possibilité d’imposer des taux de taxation variés plus faibles pour les immeubles locatifs qui contribuent à l’abordabilité
Solutions régionales
Un des enjeux actuels au Québec en matière d’habitation est de répartir les efforts entre les divers paliers gouvernementaux. Outre les questions sur la place du Provincial ou du Fédéral dans la résolution de la crise, plusieurs municipalités questionnent le rôle que devrait jouer la MRC en habitation. Il nous apparaît essentiel que les MRC jouent un rôle de leader au cours des prochaines années sur la question. À cette fin, en plus des solutions locales pour les municipalités, l’étude propose 4 solutions potentielles pour répondre aux freins spécifiques à l’échelle régionale.
- Se doter d’un positionnement régional en habitation abordable
- Évaluer la mise en place d’une stratégie immobilière régionale
- Créer un Bureau de projet régional en habitation pour accompagner les municipalités locales dans leurs programmes et règlements
- Protéger l’abordabilité du parc immobilier existant en collaboration avec les OBNL régionaux en habitation
Pour conclure, cette étude a permis d’identifier des freins et des solutions à la création de logements abordables dans un milieu à caractère plus rural. On ne peut penser que les municipalités sont les principales responsables de la crise du logement actuel dont les causes dépassent grandement leurs compétences et pouvoirs. Il reste qu’elles ont la responsabilité d’agir pour minimiser les freins et jouer un rôle plus proactif sur la question au cours des prochaines années. Nous sommes convaincus que les MRC sont une échelle essentielle pour coordonner ces actions en cohérence sur un territoire et de représenter les besoins des communautés auprès des paliers gouvernementaux supérieurs qui gèrent les cordons de la bourse. Cette étude offre une série de solutions pour les municipalités souhaitant se doter d’un plan d’action pour répondre aux freins municipaux en habitation.
JFLV urbanisme et environnement – In
JFLV est une firme de consultants d’expérience fondée par Jean-François Vachon, urbaniste. Nous nous spécialisons en urbanisme et en habitation et nous accompagnons des clients publics dans l’élaboration et la mise en œuvre de leur vision territoriale et immobilière. Nos mandats principaux touchent les questions d’habitation, de conservation des milieux naturels, de stratégie règlementaire et de décarbonation du parc immobilier au Québec.
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