31 janvier 2024
Une vision de paysage pour planifier le territoire municipal
Par Sylvain Paquette, titulaire de la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal et Charles Bergeron, conseiller en recherche à la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal – Image ci-dessus : Perspective de la proposition d’agroparc située à proximité du noyau villageois de Saint-Constant. | Crédit : CPEUM (2021).
Entre 2019 et 2021, des chercheurs de l’Université de Montréal ont collaboré avec les acteurs du développement territorial de la Ville de Saint-Constant et de la MRC de Roussillon, pour tester une approche originale. Leur mandat : coconstruire une vision paysagère fédératrice et la traduire en principes de planification et d’aménagement, en amont des projets de protection, mise en valeur et développement. La démarche s’est avérée fructueuse à plusieurs égards. Et s’il était possible de s’en inspirer ailleurs au Québec ?
La Ville de Saint-Constant, en Montérégie, doit composer depuis déjà plusieurs années avec une forte croissance démographique. En plus d’assurer la cohérence des projets de développement urbain que cela engendre, la municipalité est soucieuse d’évaluer les retombées de ses interventions sur ses paysages. C’est ainsi que, bénéficiant du soutien de la municipalité et de la MRC de Roussillon, de même que du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec[1], notre chaire de recherche a pu entreprendre en 2019 un projet de recherche-action inédit : développer et mettre à l’épreuve des outils et des approches de planification territoriale novateurs, conçus pour capter une plus grande sensibilité aux valorisations sociales et culturelles des paysages.
[1] Il s’agissait plus particulièrement d’un appel de projets en innovation sociale inscrit dans le cadre du programme de soutien à la valorisation et au transfert (volet 2) offert aux établissements du réseau québécois de l’enseignement supérieur.
Le mandat qui s’est dégagé des discussions avec nos partenaires consistait plus particulièrement à accompagner la Ville de Saint-Constant et les autres parties prenantes du devenir des paysages régionaux dans un processus de coconstruction d’une vision de paysage. Celle-ci serait ensuite déclinée en principes aptes à inspirer la planification, l’aménagement et la gouvernance du territoire municipal. Entreprise au début de 2019, la démarche s’est déployée, pour l’essentiel, sur un peu plus d’un an, puis des activités de valorisation des résultats se sont poursuivies au cours de l’année suivante.
Le paysage : un outil de planification pour les municipalités ?
On associe souvent le terme paysage aux géographies remarquables, aux attraits particuliers d’une région qui frappent le regard et l’imaginaire. À la Chaire en paysage et environnement de l’Université de Montréal (CPEUM), nous élargissons cette définition pour y inclure les paysages dits « ordinaires », les milieux de vie et les environnements du quotidien. De plus, nous abordons le paysage comme une réalité qui, en plus d’exister dans sa forme physique (géologique, écologique, architecturale), se manifeste sur un plan plus intangible, plus discret : celui des expériences sensibles. Qu’on soit résident.e ou touriste, propriétaire ou locataire, piéton ou automobiliste, amant de la nature ou de la culture, élu.e ou simple citoyen.ne, chacun d’entre nous habite, valorise, préserve ou transforme certains éléments de son environnement. Nos actions, nos choix et nos paroles traduisent une perspective unique sur notre milieu de vie, les milieux environnants, et les paysages qu’ils composent.
Par conséquent, documenter la variété des expériences subjectives et des sensibilités en jeu par rapport à un territoire donné, nous apparaît comme un moyen privilégié de mettre en lumière une grande diversité de caractères paysagers d’intérêt (caractères architecturaux, naturels, identitaires, etc.). Cela nous fournit par ailleurs une riche matière première pour l’analyse des enjeux d’aménagement et de développement ainsi qu’une fine connaissance des atouts et potentiels de transformation d’un territoire donné. Ce type de démarche permet également de révéler une multiplicité d’aspirations collectives rattachées au paysage, ainsi que les valeurs communes sous-jacentes, qui peuvent potentiellement aider à réconcilier des points de vue d’apparence contradictoire. Cela facilite la construction d’une vision partagée du bien commun et favorise l’acceptabilité sociale des projets qui s’y conforment.
Voilà entre autres pourquoi la connaissance des valorisations collectives du paysage fournit de la donnée à haute valeur ajoutée aux décideurs et aux autres parties prenantes de la planification des territoires régionaux et municipaux.
Retour sur expérience
La démarche de cocréation déployée à Saint-Constant s’est déroulée autour de cinq moments forts.
Tout d’abord, notre équipe a procédé à l’analyse d’un premier corpus de documents produits par la Ville ou des firmes mandatées (plan d’urbanisme, études de caractérisation, etc.), afin de s’approprier une connaissance primaire des enjeux de développement et des atouts du territoire municipal.
En second lieu, nous avons réuni des élu.es et des professionnels municipaux et régionaux en groupes de discussion. Ces activités d’échange nous ont permis de valider et d’enrichir nos premières analyses, et d’identifier certaines intentions d’intervention.
Parallèlement à ces échanges avec des représentants des instances municipales et régionales, nous avons consulté la population de Saint-Constant au moyen d’un sondage en ligne. Conçu pour demeurer accessible et bref, et recourant à des images du territoire et à des mises en situation concrètes, ce sondage nous a permis d’ouvrir notre analyse sur une diversité de perspectives citoyennes.
Ensuite, nous avons mis en place une série d’ateliers de travail collaboratif impliquant les citoyen.nes, qui a culminé avec le Rendez-vous citoyen. Celui-ci a réuni un peu plus d’une centaine de personnes dont plusieurs déjà engagées sur divers comités citoyens, organismes et instances ayant un lien avec le devenir du territoire municipal. En recourant à des activités collaboratives et prospectives, nous avons enrichi l’analyse des enjeux, identifié des lieux chargés de valorisations collectives et documenté des aspirations d’aménagement territorial. Ce faisant, nous avons pu préciser les valeurs fondamentales et les orientations à retenir pour structurer la vision de paysage.
Image ci-dessus : Travail collaboratif organisé dans le cadre du Rendez-vous citoyen. | Crédit photo : Ville de Saint-Constant (2020).
S’en est suivi un travail de conception de propositions d’aménagement prospectives, au sein de l’équipe de recherche, pour bien circonscrire et définir ces orientations et produire des esquisses connexes – un travail dont différentes itérations furent validées et enrichies au fil du processus.
Tout au long de la démarche, notre équipe était animée par des valeurs d’inclusivité et de participation. Chercher à mettre au jour une vision de paysage n’a de sens, pour nous, que si celle-ci reflète bien la multiplicité des regards qui forgent les milieux partagés. C’est en nous attachant à documenter cette diversité d’expériences subjectives que nous avons pu inscrire au cœur de la vision quatre valeurs phares (« une ville pour tous », « une ville de proximité », « une ville de nature », et « une ville ancrée dans son territoire agricole ») et trois principales orientations d’aménagement :
- développer un agroparc, pour interconnecter les milieux urbain et agricole, et revitaliser le noyau villageois;
- aménager des parcours de mobilité active continus, fonctionnels, écologiques et conviviaux;
- développer des pôles de mixité et de densification cohérents avec le contexte urbain actuel.
Ces propositions présentaient l’avantage de mettre en valeur, tout en les articulant dans un tout cohérent, les principaux lieux valorisés et les paysages présentant un potentiel de projet révélés à travers la démarche, à savoir : les abords des rivières Saint-Pierre et Saint-Régis; le réseau d’infrastructures naturelles; la proximité entre le noyau villageois et le milieu agricole; et les principaux pôles de densification.
Image ci-dessus : Plan d’ensemble des orientations d’aménagement prospectives. | Crédit : CPEUM (2021).
Ce bref survol du mandat ne serait pas complet sans cette ultime étape (la dernière mais non la moindre) : notre équipe a formulé des balises et des principes, auxquels les employés municipaux pourront se référer dans l’avenir, pour faire percoler la vision de paysage dans leurs champs d’intervention respectifs : règlementation, développement économique, soutien à la vie collective, culture, protection environnementale, ou autre. D’ailleurs, la Ville de Saint-Constant s’y réfère déjà dans son Plan directeur de développement durable 2021-2030[2].
Des apprentissages de cette expérience
Ce projet de recherche-action mené en collaboration avec les élu.es, les employé.es et les résident.es de Saint-Constant démontre comment la mise en œuvre d’un « projet de paysage » et de méthodes participatives et prospectives peut fournir à une municipalité une somme considérable de données à valeur ajoutée pour sa planification territoriale et la gouvernance afférente. De plus, l’approche même est propice à la construction d’une compréhension partagée des enjeux et des choix d’aménagement à privilégier.
[2] https://saint-constant.ca/flip/editions/plan_dev_durable/plan_dev_durable.pdf
Image ci-dessus : Proposition d’aménagement d’un des pôles de densification et de mixité de la Ville de Saint-Constant. | Crédit : CPEUM (2021).
Il est important de souligner que, dans ce cas, nous avons profité d’un parfait alignement de facteurs de réussite (engagement des élu.es, des professionnel.les et des citoyen.nes, soutien financier de multiples sources, etc.), et nous sommes conscients que cela ne sera pas nécessairement reproductible en tout temps, en tout lieu, sur demande. Néanmoins, il nous semble intéressant de tirer de cette expérience une démarche-type, pour accompagner les aménagistes régionaux ou les employés municipaux qui se sentiraient inspirés par le cas de Saint-Constant. Les cinq étapes de cette démarche-type (« S’ancrer », « Approfondir », « Synthétiser », « Imaginer » et « Opérationnaliser ») seront détaillées dans un guide, dont le lancement est prévu au printemps 2024. Nous vous invitons à suivre les actualités de la CPEUM sur notre page LinkedIn et à inscrire notre site web dans vos favoris pour demeurer informé.
Pour conclure, nous tenons à remercier la Ville de Saint-Constant, la MRC de Roussillon et le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie pour leur soutien. Nous adressons également nos très sincères remerciements à tous les employé.es municipaux et à tous les citoyen.nes qui, ayant pris part à cette démarche d’innovation sociale, ont contribué à établir un précédent qui, nous l’espérons, inspirera de nombreuses expériences semblables dans plusieurs régions du Québec.
Abonnement gratuit
Recevez les nouveaux articles dans votre boîte courriel